Les démonstratifs

Morphologie

L'ancien français compte deux séries de démonstratifs :
• la série cist   >   déterminants (ou adjectifs) démonstratifs du FM (cet homme qui parle)
• la série cil   >   pronoms démonstratifs du FM (celui qui parle)
La déclinaison des démonstratifs comprend trois cas :
- cas sujet
- cas régime direct pour le COD   <   accusatif latin
- cas régime indirect pour le COI et les CC   <   datif et ablatif latins


Série cist

Masculin

Féminin

Neutre

singulier
pluriel

singulier
pluriel

singulier
CS
cist
cist

ceste
cestes / cez

(cest) / ce
CR direct
cest
cez

ceste
cestes / cez

(cest) / ce
CR indirect
cestui
cez

cesti
cestes / cez

(cest) / ce

Série cil

Masculin

Féminin

Neutre

singulier
pluriel

singulier
pluriel

singulier
CS
cil
cil

cele
celes

(cel) / ce
CR direct
cel
ceus

cele
celes

(cel) / ce
CR indirect
celui
ceus

celi
celes

(cel) / ce

Remarques : 
• En AF et surtout en MF, toutes les formes peuvent être renforcées par le préfixe i- : icest, icel...
• Les démonstratifs existent au genre neutre, pour lequel les formes étymologiques sont fortement concurrencées par la forme ce.
• Pour la série cist, les formes de féminin pluriel sont concurrencées par le masculin CRP cez, qui aboutira à "ces".

Origines

Les démonstratifs de l'AF viennent de deux séries de démonstratifs latins, employés comme déterminants ou comme pronoms, et souvent redoublés par ecce ("voici") :
• série ecce *illi  >  *cilli  >  série cil
• série ecce *isti  >  *cisti  >  série cist
La forme ce renvoie à deux mots différents :
- le pronom démonstratif neutre ce, issu d'une troisième série de démonstratifs latins ecce hoc > ceo > ce (ne subsistant en FM que dans les locutions "pour ce faire" et "parce que")
- le déterminant démonstratif ce (ce matin), plus tardif, qui serait l'aboutissement d'un alignement morphologique : par analogie avec les pronoms le / les, ce dériverait de cest et de cel, qu'il a concurrencés puis remplacés.

Syntaxe

Nature grammaticale

Comme leurs étymons latins, les démonstratifs des deux séries peuvent indifféremment être déterminants (cist chevaliers dit / cil chevaliers dit) ou pronoms (cist dit / cil dit) en ancien français.

Toutefois, en moyen français, l'usage tendra à réserver la fonction déterminante à cist et la fonction pronominale à cil, jusqu'au FM qui attribue strictement la première à "ce / cet / cette / ces" (< série cist) et la seconde à "celui / celle / ceux / celles / ce" (< série cil).

Selon Sylvie BAZIN-TACCHELLA (Initiation p.60) qui relève cette tendance dans Raoul de Cambrai, l'existence des deux CR est parfois mise à profit pour différencier les deux emplois, le CR direct étant utilisé comme déterminant et le CR indirect comme pronom.

Emplois pronominaux des séries cil et cist

Dans la plupart des cas, cil et cist sont employés indifféremment.
Mais certaines différences, similaires à celles que l'on peut constater pour "ceci" / "cela", existent, et permettent d'établir des nuances sémantiques.
Cist, plus contraignant que cil, est moins courant que son homologue.
Actualisation / virtualité
- cist ne peut renvoyer qu'à un référent actualisé, c'est-à-dire identifiable immédiatement dans le texte ou dans le contexte d'énonciation.
- cil peut renvoyer à un référent actualisé ou rester virtuel, c'est-à-dire sans référent présent à proximité immédiate ni dans le texte ni dans la situation d'énonciation, mais identifiable dans le texte ou le contexte élargi, voire faisant appel à la culture générale du destinataire (ex : cil qui totes riens fit = Dieu).
Proximité absolue ou relative
Cist endosse une connotation de proximité dont cil est dépourvu :
- un seul référent actualisé dans le contexte : cist est employé si le référent est considéré comme proche spatialement, temporellement ou mentalement de l'énonciateur.
- plusieurs référents actualisés dans le contexte : cist ne renvoie qu'au plus proche et cil aux plus lointains ; l'alternance permet d'établir une hiérarchie ou une perspective spatiale ou temporelle.
- un seul référent actualisé dans le texte : cist est employé s'il reprend un mot ou un syntagme proche.
- deux référents actualisés dans le texte : cist ne renvoie qu'au dernier cité, cil aux référents plus éloignés ; l'alternance permet de lever certaines ambiguïtés en distinguant la référence la plus récente.
Dialogisme
Dans un dialogue, cist et cil permettent de revenir à l'énonciateur précédent :
Diex ! fet ele [Lunete], que voi ge la ? Qui est qui se demante ici ?
Et cil [Yvain] respont : Et vos, qui ?
- Je suis, fet ele, une cheitive, la plus dolante rien qui vive.
Cil li respont : Tes, fole riens ! Tes duels est joie, tes maux biens, envers le mien dont ge languis !
CHRETIEN DE TROYES, Le chevalier au lion

Emplois du pronom neutre ce

En AF, le pronom ce est prédicatif, il peut être sujet, attribut, complément d'objet.

"Ce" est resté pronom neutre en FM, et a produit des dérivés courants (ça, ceci, cela).
La forme "ce" existe également comme déterminant masculin singulier pour remplacer "cet" (< cest) devant consonne (cet homme / ce monsieur).

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Auteur : O. Lanciaux
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