Relevé préliminaire (au brouillon) :
L'extrait contient 18 occurrences : chaque verbe conjugué suppose un éventuel pronom personnel sujet.
Le relevé doit être l'occasion d'un premier tri des occurrences, qui permet d'esquisser les grandes lignes de la réponse rédigée ; nous choisissons de distinguer trois niveaux d'expression du p. personnel sujet :
Vers 3459 — Ø fent : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3460 — Ø oste : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3461 — Ø trait : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3462 — Ø a espris : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3463 — Ø met : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3465 — Ø rosti : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3466 — Ø fu deduis : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3471 — Ø a regardé :p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à ses lions.
Vers 3473 — Ø mengié : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3469/70 — jut ses lions : substantif CSS masc.
Vers 3470 — c'onques ne s'en mut : p.relatif CSS élidé renvoyant à ses lions.
Vers 3475 — menga li leons : substantif CSS masc.
Vers 3469 — il menja : p.personnel CSS masc. renvoyant à Yvain.
Vers 3472 — il ot pris : p.personnel CSS masc. renvoyant à Yvain.
Vers 3473 — il n'en pot : p.personnel CSS masc. renvoyant à Yvain.
Introduction
• Pronoms personnels sujets non exprimés :Vers 3458 — Ø commence : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3459 — Ø fent : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3460 — Ø oste : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3461 — Ø trait : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3462 — Ø a espris : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3463 — Ø met : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3465 — Ø rosti : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3466 — Ø fu deduis : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
Vers 3471 — Ø a regardé :p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à ses lions.
Vers 3473 — Ø mengié : p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant à Yvain.
• Pronoms personnels sujets remplacés par d'autres éléments grammaticaux :Vers 3465 — tous fu cuis : pronom indéfini CSS masc. [ou p.personnel CSS masc. non exprimé renvoyant au chevreuil selon interprétation, cf. traduction].
Vers 3469/70 — jut ses lions : substantif CSS masc.
Vers 3470 — c'onques ne s'en mut : p.relatif CSS élidé renvoyant à ses lions.
Vers 3475 — menga li leons : substantif CSS masc.
• Pronoms personnels sujets exprimés :Vers 3467 — il n'i ot : p.personnel CSS masc. en emploi impersonnel.
Vers 3469 — il menja : p.personnel CSS masc. renvoyant à Yvain.
Vers 3472 — il ot pris : p.personnel CSS masc. renvoyant à Yvain.
Vers 3473 — il n'en pot : p.personnel CSS masc. renvoyant à Yvain.
Introduction
Les pronoms personnels ont pour rôle de remplacer un nom, dont ils occupent la place et assument la fonction. Les pronoms personnels se déclinent selon la personne grammaticale, le nombre et le cas de leur référent.
Il convient de distinguer les pronoms personnels nominaux d'une part (P1, P2, P4 et P5), qui renvoient aux acteurs de l'énonciation sans nécessiter d'antécédent et qui sont un héritage direct des pronoms personnels latins, et les pronoms personnels représentants d'autre part (P3 et P6), dont le référent ne participe pas à l'interlocution, qui nécessitent un antécédent et qui sont issus du démonstratif latin ille, illa, illud - c'est pourquoi les pronoms représentants marquent le genre du référent, tandis que les pronoms nominaux n'ont pas de morphème générique.
L'emploi médiéval des pronoms personnels sujets constitue une transition entre l'usage latin et le français moderne : les terminaisons verbales latines suffisaient à marquer les personnes grammaticales, les pronoms personnels sujets étaient donc redondants et employés uniquement comme renforts d'expressivité ; l'évolution phonétique du système verbal aboutit à une confusion de certaines formes, et en ancien français, la désinence ne suffit plus à différencier les personnes ; pour pallier cette uniformisation, l'expression du pronom personnel sujet se généralisa, jusqu'au français moderne pour lequel elle est généralement indispensable.
À partir de la fin du XII° siècle, cette systématisation changea progressivement les pronoms personnels sujets, originellement prédicatifs, en clitiques, obligatoirement conjoints au verbe en faveur duquel ils ont perdu leur accentuation.
Période de transition, l'ancien français a un usage complexe du pronom personnel sujet : en nous appuyant sur l'étude des vers 3458 à 3475 du Chevalier au lion de Chrétien de Troyes, roman de la fin du XII° siècle, nous verrons dans quels cas le pronom personnel sujet peut être omis, être remplacé par un autre élément linguistique, ou être exprimé.
1. Omission du pronom personnel sujet
L'extrait du Chevalier au lion démontre que la systématisation de l'expression du pronom personnel sujet n'est pas encore acquise, car la majorité des pronoms y sont omis.
2. Substitution d'autres éléments grammaticaux au pronom personnel sujet
Par ailleurs, le pronom, relai par défaut du nom, peut être remplacé par un élément grammatical plus adéquat sémantiquement ou grammaticalement.
Ainsi les occurrences des vers 3469-70 et 3475 privilégient l'expression du groupe nominal sujet à son remplacement par un pronom : "jut ses lions", "menga li leons" ; ce choix permet de signaler explicitement le changement de sujet, dans un extrait dont le seul protagoniste est Yvain jusqu'au vers 3469. Rejetés en position postverbale parce que la zone préverbale est saturée par des compléments, ces sujets auraient été omis s'ils avaient été exprimés par des pronoms personnels.
Le sujet du verbe "fu cuis" au vers 3465 est le pronom indéfini masculin singulier "tous", qui apporte une nuance sémantique par rapport au pronom personnel sujet auquel il a été préféré : "tous" met l'accent sur le degré d'achèvement de l'action quand "il" n'apporterait aucune précision. Le pronom et l'adverbe n'étant pas encore distincts morphologiquement à l'époque de la rédaction du Chevalier au lion, on peut d'ailleurs isoler le sème d'achèvement en interprétant "tous" comme un adverbe, et estimer que le pronom personnel sujet reste inexprimé.
Le dernier cas de figure de l'extrait est le pronom relatif du vers 3470, pour lequel la substitution n'est plus seulement motivée sémantiquement mais grammaticalement, le pronom relatif permettant d'introduire la proposition subordonnée relative "c'onques ne s'en mut" qualifiant "ses lions".
3. Expression du pronom personnel sujet
Au XII° siècle, l'usage du pronom personnel sujet est donc encore facultatif, relevant d'un souci d'expressivité ou de clarté dans l'identification des référents évoqués par le discours : ainsi l'extrait du Chevalier au lion ne comprend que quatre occurrences exprimées sur dix-huit.
Trois d'entre elles renvoient à Yvain : "il menja" (v. 3469), "il ot pris" (v. 3472) et "il n'en pot plus" (v. 3473). L'expression du pronom ne vise pas ici à accroître l'expressivité du récit ou à clarifier le schéma actantiel, qui ne comprend que deux référents masculins singuliers, Yvain et son lion ; facultatifs grammaticalement et sémantiquement, ces trois pronoms ne le sont cependant pas du point de vue de la versification, et leur présence témoigne de la lente généralisation de leur usage en ancien français, dans la construction sujet-verbe-complément qui s'imposera en français moderne.
Le pronom personnel sujet du vers 3467, "il n'i ot", est un pronom impersonnel ; bien qu'attesté très tôt, son emploi ne s'impose qu'au XIII° siècle, et son expression se généralise en même temps que celle des autres pronoms personnels sujets.
La prédicativité du pronom personnel sujet n'est pas illustrée dans l'extrait, le pronom étant chaque fois employé conjointement au verbe, comme en français moderne. L'adverbe de négation ne est intercalé entre le pronom et le verbe aux vers 3467 et 3473 ("il n'i ot", "il n'en pot plus"), mais celui-ci étant atone, il ne sature pas la zone préverbale et autorise l'antéposition du pronom.
Conclusion
Le Chevalier au lion témoigne d'une période de transition dans la syntaxe du français : la construction complément-verbe-sujet, qui appelle l'omission du pronom sujet, est largement majoritaire, mais le modèle syntaxique moderne, sujet-verbe-complément, est présent et oblige d'ores et déjà l'expression du pronom personnel sujet, quand celui-ci n'est pas remplacé par un élément de langue plus adéquat.
Il faut toutefois noter que la poésie ajoute des contraintes formelles au discours, et que l'omission ou l'expression du pronom personnel sujet peuvent également y être motivées, au-delà des nécessités de la grammaire et du sens, par des considérations rythmiques. La prose enregistra dès la fin du XII° siècle une généralisation plus franche de l'expression du pronom personnel sujet.
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Auteur : O. Lanciaux
Il convient de distinguer les pronoms personnels nominaux d'une part (P1, P2, P4 et P5), qui renvoient aux acteurs de l'énonciation sans nécessiter d'antécédent et qui sont un héritage direct des pronoms personnels latins, et les pronoms personnels représentants d'autre part (P3 et P6), dont le référent ne participe pas à l'interlocution, qui nécessitent un antécédent et qui sont issus du démonstratif latin ille, illa, illud - c'est pourquoi les pronoms représentants marquent le genre du référent, tandis que les pronoms nominaux n'ont pas de morphème générique.
L'emploi médiéval des pronoms personnels sujets constitue une transition entre l'usage latin et le français moderne : les terminaisons verbales latines suffisaient à marquer les personnes grammaticales, les pronoms personnels sujets étaient donc redondants et employés uniquement comme renforts d'expressivité ; l'évolution phonétique du système verbal aboutit à une confusion de certaines formes, et en ancien français, la désinence ne suffit plus à différencier les personnes ; pour pallier cette uniformisation, l'expression du pronom personnel sujet se généralisa, jusqu'au français moderne pour lequel elle est généralement indispensable.
À partir de la fin du XII° siècle, cette systématisation changea progressivement les pronoms personnels sujets, originellement prédicatifs, en clitiques, obligatoirement conjoints au verbe en faveur duquel ils ont perdu leur accentuation.
Période de transition, l'ancien français a un usage complexe du pronom personnel sujet : en nous appuyant sur l'étude des vers 3458 à 3475 du Chevalier au lion de Chrétien de Troyes, roman de la fin du XII° siècle, nous verrons dans quels cas le pronom personnel sujet peut être omis, être remplacé par un autre élément linguistique, ou être exprimé.
1. Omission du pronom personnel sujet
L'extrait du Chevalier au lion démontre que la systématisation de l'expression du pronom personnel sujet n'est pas encore acquise, car la majorité des pronoms y sont omis.
L'omission du
pronom personnel sujet en ancien français s'explique par la syntaxe générale de
cette langue : schématiquement, la proposition est constituée de trois zones,
comprenant chacune un accent rythmique ; dès le moyen-âge, la zone centrale est
par défaut occupée par le verbe. Mais contrairement au français moderne dont la
construction standard est sujet-verbe-complément, l'ancien français place
fréquemment le complément en position initiale, le sujet étant alors rejeté en
position postverbale ; or le pronom personnel sujet, dans cette position, est
ordinairement omis.
Le corpus
d'occurrences fait état de ce phénomène : les vers 3459, 3460 et 3466
présentent des compléments d'objet en position préverbale, ce qui implique que
le sujet, Yvain, soit rejeté en position finale. Repris par un pronom, celui-ci
est omis : "Le cuir li fent [il] deseur la coste", "De le
longne .i. lardel li oste [il]" et "Mais du mengier fu [il] nus
deduis".
La zone initiale
peut également être saturée par un adverbe, comme c'est le cas aux vers 3458 ("Lors
le commence [il] a escorchier"), 3462 ("Si l'a [il] de seche
busche espris"), 3465 ("Sel rosti [il]") et 3471
("Ains l'a [il] tout adés regardé", il reprenant ses lions).
Les conjonctions de coordination ou de
subordination ne sont pas considérées comme faisant partie de la proposition, et
n'occupent donc pas la position initiale, non plus que les interjections et
apostrophes. Toutefois, la conjonction de coordination et, par analogie avec l'adverbe si, est fréquemment employée de
la même manière, provoquant le rejet du sujet en zone postverbale et l'omission
du pronom personnel assumant cette fonction, comme au vers 3461, "Et trait [il] le fu", ou
3463, "Et met [il] en .i.
brochë", du Chevalier
au lion.
2. Substitution d'autres éléments grammaticaux au pronom personnel sujet
Par ailleurs, le pronom, relai par défaut du nom, peut être remplacé par un élément grammatical plus adéquat sémantiquement ou grammaticalement.
Ainsi les occurrences des vers 3469-70 et 3475 privilégient l'expression du groupe nominal sujet à son remplacement par un pronom : "jut ses lions", "menga li leons" ; ce choix permet de signaler explicitement le changement de sujet, dans un extrait dont le seul protagoniste est Yvain jusqu'au vers 3469. Rejetés en position postverbale parce que la zone préverbale est saturée par des compléments, ces sujets auraient été omis s'ils avaient été exprimés par des pronoms personnels.
Le sujet du verbe "fu cuis" au vers 3465 est le pronom indéfini masculin singulier "tous", qui apporte une nuance sémantique par rapport au pronom personnel sujet auquel il a été préféré : "tous" met l'accent sur le degré d'achèvement de l'action quand "il" n'apporterait aucune précision. Le pronom et l'adverbe n'étant pas encore distincts morphologiquement à l'époque de la rédaction du Chevalier au lion, on peut d'ailleurs isoler le sème d'achèvement en interprétant "tous" comme un adverbe, et estimer que le pronom personnel sujet reste inexprimé.
Le dernier cas de figure de l'extrait est le pronom relatif du vers 3470, pour lequel la substitution n'est plus seulement motivée sémantiquement mais grammaticalement, le pronom relatif permettant d'introduire la proposition subordonnée relative "c'onques ne s'en mut" qualifiant "ses lions".
3. Expression du pronom personnel sujet
Au XII° siècle, l'usage du pronom personnel sujet est donc encore facultatif, relevant d'un souci d'expressivité ou de clarté dans l'identification des référents évoqués par le discours : ainsi l'extrait du Chevalier au lion ne comprend que quatre occurrences exprimées sur dix-huit.
Trois d'entre elles renvoient à Yvain : "il menja" (v. 3469), "il ot pris" (v. 3472) et "il n'en pot plus" (v. 3473). L'expression du pronom ne vise pas ici à accroître l'expressivité du récit ou à clarifier le schéma actantiel, qui ne comprend que deux référents masculins singuliers, Yvain et son lion ; facultatifs grammaticalement et sémantiquement, ces trois pronoms ne le sont cependant pas du point de vue de la versification, et leur présence témoigne de la lente généralisation de leur usage en ancien français, dans la construction sujet-verbe-complément qui s'imposera en français moderne.
Le pronom personnel sujet du vers 3467, "il n'i ot", est un pronom impersonnel ; bien qu'attesté très tôt, son emploi ne s'impose qu'au XIII° siècle, et son expression se généralise en même temps que celle des autres pronoms personnels sujets.
La prédicativité du pronom personnel sujet n'est pas illustrée dans l'extrait, le pronom étant chaque fois employé conjointement au verbe, comme en français moderne. L'adverbe de négation ne est intercalé entre le pronom et le verbe aux vers 3467 et 3473 ("il n'i ot", "il n'en pot plus"), mais celui-ci étant atone, il ne sature pas la zone préverbale et autorise l'antéposition du pronom.
Conclusion
Le Chevalier au lion témoigne d'une période de transition dans la syntaxe du français : la construction complément-verbe-sujet, qui appelle l'omission du pronom sujet, est largement majoritaire, mais le modèle syntaxique moderne, sujet-verbe-complément, est présent et oblige d'ores et déjà l'expression du pronom personnel sujet, quand celui-ci n'est pas remplacé par un élément de langue plus adéquat.
Il faut toutefois noter que la poésie ajoute des contraintes formelles au discours, et que l'omission ou l'expression du pronom personnel sujet peuvent également y être motivées, au-delà des nécessités de la grammaire et du sens, par des considérations rythmiques. La prose enregistra dès la fin du XII° siècle une généralisation plus franche de l'expression du pronom personnel sujet.
…………………………
Auteur : O. Lanciaux
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